Dans la rue, animée depuis l’aube, les hommes vont et viennent, les badauds se mêlent aux passants et aux travailleurs. Toutes les classes sont représentées et l’on peut voir les marchands devant leur porte interpeller les passants leur vantant les mérites de la poudre de cacao et autres richesses des environs.
Une voiture noire tractée par quatre chevaux, couleurs de jais également, entre dans la rue en faisant s’écarter les passants devant elle, non pas par sa vitesse mais tous ici ont déjà vu ces voitures-là.
Les rideaux sont tirés, mais il n’est pas compliqué de savoir qu’un capitaine de la Compagnie Noire des Caraïbes se trouve à l’intérieur. Le cochet passe la rue sans encombre, faisant se faufiler sa voiture à travers les étales et les hommes, continue jusqu’au croisement pour prendre une petite rue à la perpendiculaire. Quelques mètres plus loin, le cochet tire les rênes et la voiture s’arrête. Les chevaux soufflent et secouent leur tête. Un peu de poussière rattrape la voiture et disparaît presque aussitôt, balayée par les vents.
Le cochet n’est pas encore descendu de son siège que la porte latérale de la voiture s’ouvre sur un homme de très grande taille. Edward, le quartier-maître et le second du Capitaine Bonny, regarde à droite et à gauche et descend, ce qui ne manque pas de faire tanguer la voiture, suivie dans l’instant par une jeune femme rousse.
Une fois à terre, Anne regarde le cochet et lui dit :
-"Revenez avant la tombée de la nuit, si nous ne sommes pas ici même, c’est que nous aurons déjà rejoint la bâtisse de chez Eugène."
-"Bien Madame."
S’adressant maintenant à quelqu’un se trouvant à l’intérieur de la voiture,
-"Faites savoir à Salha de nous y rejoindre dans la soirée, nous passerons la nuit là-bas."
-"Ce sera fait Capitaine."
-"Bonne route Messieurs !"
À peine le Capitaine Bonny et son second avaient tourné les talons, que les chevaux couleur de jais s’ébrouèrent sous l’action des brides et s’élancèrent pour faire demi-tour un peu plus loin et repartir vers les rues marchandes.
-"Nous y voilà donc Eddy, tout ceci est fort accueillant, n’est-ce pas ? Je regrette de ne pas être venue plus tôt."
Ils s’avancent vers les portes et font savoir leur présence. Après avoir frappé à la majestueuse porte, Edward se place derrière sa capitaine. Tous deux se regardent, se sourient avant de reprendre leurs airs sérieux. Anne réajuste sa veste et tente de remettre ses cheveux en ordre.
-"Foutu vent !"
Edward ne peut s’empêcher de sourire du haut de ses deux mètres vingt.